Préjudice sexuel

Manon Fumey

12/14/20244 min read

Sur l’absence ou la diminution de la libido post accident/agression :

La nomenclature DINTILHAC distingue trois types de préjudice de nature sexuelle :

Le préjudice morphologique, lié à l’atteinte aux organes sexuels primaires et secondaires,

Le préjudice lié à l’acte sexuel lui-même qui repose sur la perte du plaisir lié à l’accomplissement de l’acte sexuel (perte de l’envie, de la libido, de la capacité physique de réaliser l’acte, de la capacité à accéder au plaisir),

Le préjudice lié à une impossibilité ou une difficulté à procréer.

Il est essentiel que la question du préjudice sexuel de la victime, parfois taboue et toujours délicate, soit abordée de façon concrète au cours des opérations d’expertise pour que son préjudice corporel soit justement appréhendé et indemnisé.

Deux arrêts particulièrement intéressants ont été rendus cette année par la Cour de cassation sur cette question, permettant d’en rappeler plus précisément les contours et les conséquences sur le plan indemnitaire.

1/ Cour de cassation, Chambre criminelle, 6 février 2024, pourvoi n°23-80.109 :

Cet arrêt confirme que l’absence totale de libido et de vie sexuelle chez un jeune homme peut caractériser l’existence d’un préjudice sexuel indemnisable.

Si cette analyse semblait évidente, vraisemblablement, elle ne l’était pas pour les juges du fond dans cette affaire concernant un jeune garçon avait été violé régulièrement de ses 6 ans à 8 ans et qui sollicitait, entre autre, l’indemnisation de son préjudice sexuel.

Les juges d’appel l’avaient débouté de sa demande jugeant que le jeune garçon devenu adulte n’avait eu aucune relation avec qui que ce soit, ni dans l’adolescence, ni en tant qu’adulte et qu’il avait à plusieurs reprises confié que le sexe ne l’intéressait pas.

De plus, selon un camarade, le jeune homme n’était attirée ni par les hommes ni par les femmes, ne se sentait pas concerné par les relations sexuelles et avait le projet de devenir prêtre.

La Cour d’appel en avait déduit une absence de préjudice sexuel, dès lors qu’en raison d’une absence de libido, il n’avait jamais eu d’intérêt pour les relations sexuelles.

La Chambre criminelle de la Cour de cassation a censuré l’arrêt d’appel, au visa du principe de réparation intégrale, et jugé :

« En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l’absence de libido constatée à l’adolescence et à l’âge adulte, de nature à constituer un préjudice sexuel, n’avait pas pour cause les faits de viols subis dans l’enfance, la Cour d’appel n’a pas justifié sa décision ».

Au regard des études réalisées sur des conséquences des violences sexuelles pendant l’enfance, cette solution de la chambre criminelle de la Cour de cassation semble empreinte de bon sens.

En effet, selon le rapport de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants de novembre 2023 :

- 34 % des victimes de violences sexuelles pendant l’enfance font état d’un impact négatif sur leur libido,

- 31 % des victimes de violences sexuelles pendant l’enfance ont renoncé à toute forme de vie sexuelle,

- 36 % des victimes de violences sexuelles pendant l’enfance font état d’une hypersexualité (multiplication des partenaires, voire expériences à risque).

2/ Cour de cassation, Chambre criminelle, 22 mai 2024, pourvoi n°23-82958 :

Dans cet arrêt, la Cour de cassation rappelle que ladiminution de la libido est une composante du préjudice sexuel.

L’affaire concernait la victime d’un accident de la circulation qui sollicitait, dans le cadre de sa procédure, l’indemnisation de son préjudice sexuel.

La Cour d’appel de Rouen a débouté la victime en considérant qu’en dehors du traitement psychotrope pouvant être à l’origine d’une altération de la libido, l’expert n’avait retenu :

- aucune atteinte aux organes sexuels,
- aucune perte de la capacité physique à avoir une activité sexuelle,
- aucune atteinte à la faculté de procréer.

Fort logiquement et heureusement, la Cour de cassation casse cet arrêt au motif que :

“En statuant ainsi, alors qu’il résultait du rapport d’expertise que les conséquences de l’accident et du traitement psychotrope pouvaient être à l’origine d’une altération de la libido et justifier un préjudice sexuel, dont l’indemnisation n’était au surplus contestée en son principe par l’assureur, la Cour d’appel n’a pas justifié sa décision.

Dès lors que la baisse de libido est imputable à un traitement psychotrope, dont l’administration est elle-même en lien avec les conséquences de l’accident, le préjudice sexuel doit être constitué et ouvrir droit à indemnisation.

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